Seule la beauté nous sauvera de nous-mêmes

Nos os puent l'humidité

des dizaines de petits vers blancs

circulent dans nos foies

des vers très vigoureux

qui n'hésiteraient pas à grimper

le long des jambes du promeneur

si ce promeneur osait essayer de déterrer nos crânes

pour les vendre sur internet

- il paraît que ça se vend bien, et que ça vaut cher -

nos yeux fondus

nos têtes

nos braves têtes

désormais si sévères, sans bouche et sans nez

nos viscères pleins de spasmes électriques

nos phalanges dépliées, si minces

qu'on peut voir au travers

comment pouvons-nous croire à une résurrection?

La terre

la terre nous déplace lentement

la terre nous mange

la terre est en train de nous tuer

mais nous sommes ailleurs

à côté de nos corps

nous avons des caresses latérales

une façon spéciale de nous aimer

en regardant le soleil couchant

nos âmes

sont comme des petits bonbons transparents

comme des bouts de vitraux

que le soleil traverse

 

nous sommes trois : le soleil, toi et moi

- un soleil oblique, sans cruauté -

et nous nous caressons

pour la dernière et la première fois

 

car nous savons

que c'est inévitable:

seule la beauté nous sauvera

Référence bibliographique

Geneviève Morin, «Seule la beauté nous sauvera de nous-mêmes», Gâteaux glacés, Les Éditions de la Grenouillère, p. 89-90.

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