la vie avait jeté des paillettes
dans ses yeux
elle confondait dès lors le soui-manga et l’aigle
l’accolade distraite du pèlerin
aux fruits doux
qui auraient pu mûrir
lentement
longuement
dans les jardins
abrités par ses jupons d’antan
elle avait cru réinventer la roue, ma mère
mais sa gaieté ne faisait qu’ânonner
avec son balai elle dansait la polka
l’habillait d’un paletot et d’un haut-de-forme
lui faisait la révérence en lui disant :
« bonjour, Monsieur »
tandis que sa voix fêlée
se brisait
sur les murs d’un palais de vent
ma mère marchait dans la vie
comme un oiseau blessé bât de l’aile
toute musique pour elle
se limitait aux mélopées
de ses espoirs
fracassés contre sa couche
le cliquetis affolant la poursuivait sans cesse
comme le chant entêté
d’un squelette épinglé à son dos
elle avait les traits d’une Eurydice
fuyant la mort
ma mère
sur son chemin ni jardin ni fontaine
rien qu’une lune voilée et le sanglot splendide
du palais de vent qui s’écroule
et l’accompagne jusqu’à la fin de tout...
Le chant de l’oiseau qui traine une aile cassée
1. Comment vous représentez-vous psychologiquement la femme décrite dans ce poème ?
2. Relevez les passages qui évoquent la brisure.
3. Effectuez une brève recherche sur Eurydice, évoquée dans la dernière strophe. En quoi cette référence révèle-t-elle le destin de la femme ?
4. L’image du « palais de vent » revient à deux reprises dans le poème. Qu’évoque-t-elle selon vous ?
5. Peut-on dire qu’une forme de tendresse se dégage néanmoins du portrait de la mère ?
6. L’oxymore du « sanglot splendide » de la dernière strophe nous donne peut-être une piste pour lire ce poème à voix haute. Tentez différentes façons de le lire en exprimant à la fois tristesse et beauté.
Activité d’écriture
Il y a quelques références dans le poème à la musique et au chant. Si vous aviez à associer à votre mère une forme musicale, quelle serait-elle ? Écrivez une strophe à partir de cette association.
Liens utiles
Un entretien avec l’autrice pour l’émission Île en île, 17 avril 20009
Une lecture publique de l’autrice en 2016 pour les 75 ans de la revue Relations, 15 mai 2016
Marie-Célie Agnant - Spectacle de poésie et de musique pour les 75 ans de la revue Relations, 15 mai 2016 de Revue Relations sur Vimeo.
Marie-Célie Agnant, « Poème de ma mère », Balafres, Montréal, Éditions du CIDHICA, 1994.