J’ai perdu ton savoir
Mes yeux ne savent plus lire le vent ni le soleil
Mes mains s’abîment au moindre froid
Je crains l’aridité de ma mère
Je critique même la lenteur de mes sœurs
Je ne tends plus l’oreille comme toi jadis
Quand ta vie en dépendait
Je bobine des rengaines de mots
Comme tu tressais la corde de chanvre
Rengaines de rancunes
Dégaines d’amertume qui m’endorment
Pendant que tu chantes au loin le vent
Ma dénature en pleine vie
Mon nez ne sait plus sentir
Les résines guérisseuses
Ni le présage d’excréments d’ours
Comment aiguiser l’odorat qui assure la survie ?
Je dois ma vie grâce à tes sens aiguisés
Je suis descendue de l’arbre désormais
Moi aussi je survis
J’ai le tronc commun coupé
La nature morte
Les épices qui roulaient dans ta bouche
Sont ma gourmandise
Je suis autre
Moi aussi je suis humain
Je vis, je respire, mon cœur bat
En aiguisant l’esprit mes sens se sont émoussés
Mon savoir est un maigre filet d’eau
Malgré tout, je sens ton souffle et la finesse de tes pas
Viens chuchoter à mon esprit
Depuis ces temps immémoriaux
Viens me dire ce que j’ai oublié et qui est tapi
Au fond de moi
Comme le grand chant de la nature plein et entier
Viens que je devine à nouveau
Et reconnaisse l’esprit de tous les règnes
Végétaux minéraux animaux
Ouvre mes sens que je laisse entrer
Au lieu de sortir pour prendre
Que je sois vue et que je voie enfin
Que je sois touchée et que je touche enfin
Que je sois entendue et que j’entende enfin
Que je sois goûtée et que je goûte enfin
Que je sois sentie et que je sente
Par tous les esprits du monde qui m’entourent
Je ne suis pas hors nature
Elle et moi tournons ensemble
Nous tissons la grande toile du monde
La danse ronde
Toutes nos relations
Hatiyondahskehen’, ayehwatsira’, yaton’wes
Onhwa’ tsonywa’ ndiyonhrat
Hommage aux ancêtres et espoir
Andrée Levesque Sioui, « Hatiyondahskehen’ », Chant(s), Hannenorak, 2021, p. 32.