Un pays sans mémoire est une femme sans miroir
Belle mais qui ne le saurait pas
Un homme qui cherche dans le noir
Aveugle et qui ne le croit pas
Mon aïeul un jour perdit sa noble tête
Au combat parmi ses guerriers
Décapité son corps devant la femme fut jeté
Par l’ennemi français
C’était en dix-huit cent soixante-dix
Ou soixante et onze
Cette date je l’ai retrouvée
Dix ans après
Que la plus vieille de la famille me conta l’épopée
C’était...quand donc était-ce petite mère cette colère
C’était l’année de la grande misère
Où les femmes trop tôt accouchaient
Où les enfants de famine mouraient
Et les hommes aussi à la guerre
Mon aïeul un jour perdit sa noble tête
Au combat parmi ses guerriers
Et l’histoire contée se répète
Rosée sur les feuilles de la nuit
Prunelles dans le blanc des yeux de l’oubli
Merveilles dans les songes d’enfance attentive
Et l’histoire se répète à côté de la braise
Avec des mots brisés
Et des voix qui se cherchent
Et des vieilles méprisées
Parce qu’elles ne parlent pas français
Un pays sans mémoire est une femme sans miroir
Un homme qui cherche dans le noir.
La terreur de la guerre.
Assia Djébar, « Un pays sans mémoire... », Poésie algérienne francophone contemporaine, Paris, Autres Temps, 2004.
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