et puis t’aimes pas les mots tu les connais pas souvent tu
sais pas ce qu’ils veulent dire y’a tout un genre de mots
que tu veux pas entendre ou dire les mots à trois syllabes
tu laisses tomber tu veux même pas savoir ce que tu
pourrais dire avec
mais du temps où tu t’appelais Bullitt
t’avais moins le temps de m’interroger
beaucoup de travail
buvais du lait du jus d’orange pas de bullshit pas d’alcool
t’avais les idées tout à fait claires tout à fait
t’avais la tête d’un flic
et tu enquêtais résolvais courais poursuivais en Mustang
les mafieux
tu mettais les hommes en feu
c’était la première fois qu’on voyait du cent vingt milles à
l’heure dans les rues de San Francisco deux voitures
accélèrent prennent les coins ronds très ronds et puis
jumpent comme des vélos sur un jump dans les rues qui
descendent San Francisco l’une s’écrase dans une station
de gaz l’autre s’arrête les roues au-dessus du ravin
et tu m’emmenais au restaurant et tu me souriais
et dans ce sourire j’oubliais les filles égorgées étranglées
les corps en sang dans les apparts dans les chambres
d’hôtel sur le trottoir que tu regardais comme si c’était
des tapis de porte des peaux d’ours sur un lit comme si
c’était rien les cous ouverts ce sourire me faisait oublier
que rien te touche rien pénètre sauf
moi ?
tout ce qu’on est prêtes à oublier pour ce sourire
le gun sur ma tête la nuit quand je me réveille
et tes yeux froids qui me fixent
tout ce qu’on oublie quand on veut
et je souris pour te faire oublier ce que tu faisais
ce que tu disais pour effacer ce que tu pensais
si ça pouvait marcher
et Bullitt après une nuit de travail me trouve dans son lit
passe l’eau dans son visage pour qu’images et
odeurs partent
pour oublier la dernière histoire de Bullitt
comme un épisode qui finit et qu’on oublie dès le suivant
Cité, le film “Bullit”, réalisé par Steve McQueen en 1968 - amour, violence, meurtre, à la vitesse d'une course-poursuite.
Renée Gagnon, Steve McQueen (mon amoureux) (extrait), Le Quartanier, 2007.