Je vis, mais c’est hors de moi-même,
Je vis, mais c’est sans vivre en moi ;
Je vis dans l’objet de ma foi
Que je ne vois pas et que j’aime ;
Triste nuit de long embarras
Où mon âme est enveloppée,
Si tu n’es bientôt dissipé,
Je me meurs de ne mourir pas.
Le nœud de flamme et de lumière
Qui lie à Dieu seul mon amour
Fait par un amoureux détour
Qu’il soit captif, et moi geôlière ;
À voir qu’en de faibles appâts
Il trouve une prison si forte,
Un si grand zèle me transporte
Que je meurs de ne mourir pas.
Bon Dieu, que longue est cette vie !
Fâcheux exil qui me détiens,
Que ta prison et tes liens
Pèsent à mon âme asservie :
L’espoir d’être libre au trépas
Me cause tant d’impatience,
Qu’attendant cette délivrance
Je me meurs de ne mourir pas.
Que cette vie est dégoûtante
Où l’on ne tient Dieu qu’en désir,
Où l’amour mêle son plaisir
À l’ennui d’une longue attente ;
Sentant que mon cœur déjà las
Succombe sous un faix si rude,
Je suis en telle inquiétude
Que je meurs de ne mourir pas...
Martial de Brives, « Les soupirs d’une âme exilée » dans Jean Rousset, Anthologie de la poésie baroque française, Tome 2, Paris, Armand Colin, 1961.