Rime

J'erre

Je ne vous suis plus

je ne vous suis plus dévoué je ne vous suis plus fidèle j'erre à ma guise enfin hors des sentiers bénis

j'erre aux confins de ma vie

j'aime aussi

Je viens comme une mante religieuse...

Je viens comme une mante religieuse

dévorer le sur-mâle le héros le surhomme

et aspirer ta hache de guerre ô omme

j’ai la démarche effrontée des pécheresses

mes vastes hanches sont les berceaux

je suis passée…

Je suis passée

Plus vite qu’un vendredi soir

Pour éviter l’averse

Dans les relents d’hier

Je n’avais pas fait de plan

Dans ma tête tempête

De neige et de rage

La toune d'Hawkesbury

Entre Ottawa pis Montréal,

entre la métropole pis la capitale,

entre des 9 à 5 comme des cercueils,

avec les foremen qui t’ont à l’œil,

entre les papiers du bien-être

pis leur formule mal de tête,

Greniers

Puisque voici Ma Dame Lune

Par les lucarnes des maisons,

Voici pour nous bonne fortune,

Dans la nuit

Dans la nuit

Dans la nuit

Je me suis uni à la nuit

Les soupirs d’une âme exilée

Je vis, mais c’est hors de moi-même,

Je vis, mais c’est sans vivre en moi ;

Je vis dans l’objet de ma foi

Je ne sais pourquoi...

Je ne sais pourquoi

Mon esprit amer

D’une aile inquiète et folle vole sur la mer.

Âme de nuit

Mon âme en est triste à la fin ;

Elle est triste enfin d’être lasse,

Elle est lasse enfin d’être en vain,

Le poème

Le soleil est ma chair, le soleil est mon cœur,

Le cœur du ciel, mon cœur saignant qui vous fait vivre,

Le soleil, vase d’or, où fume la liqueur

J’ai lu que les poètes, en Chine

J’ai lu que les poètes, en Chine, sont très doux.

Et qu’il y en a un qui est mort de la lune ;

Et les Chinois ne disent pas qu’il était fou

Contre-Jour

Les oiseaux apparaissent,

S’allume une flamme

Et c’est la femme ;

La parole amoureuse est un dimanche

un dimanche

la parole amoureuse est un dimanche

sans aucun souci de soi-même

Il va neiger dans quelques jours...

Il va neiger dans quelques jours. Je me souviens

de l’an dernier. Je me souviens de mes tristesses

au coin du feu. Si l’on m’avait demandé : qu'est-ce?

L’avis de Dieu

La majesté du ciel qui nous laisse béats

A pour contrepartie, au-dessous de l’atome,

Un empire soumis à tous les aléas

Le beau navire

Je veux te raconter, ô molle enchanteresse !

Les diverses beautés qui parent ta jeunesse ;

Je veux te peindre ta beauté,

L’explication des métaphores

Loin du temps, de l’espace, un homme est égaré,

Mince comme un cheveu, ample comme l’aurore,

Les naseaux écumants, les deux yeux révulsés,

Contre l’hiver

Plein de colère et de raison,

Contre toi, barbare saison,

Je prépare une rude guerre,

La poussière du jour

La poussière de l’heure et la cendre du jour

En un brouillard léger flottent au crépuscule.

Un lambeau de soleil au lointain du ciel brûle,

La prairie

Dans l’immense Prairie, océan sans rivages,

Houles d’herbes qui vont et n’ont pas d’horizons,

Cent rouges cavaliers, sur les mustangs sauvages,

Comme un qui s’est perdu...

Comme un qui s’est perdu dans la forêt profonde

Loin de chemin, d’orée et d’adresse, et de gens :

Comme un qui en la mer grosse d’horribles vents,

Clair de lune

La lune était sereine et jouait sur les flots. —

La fenêtre enfin libre est ouverte à la brise,

La sultane regarde, et la mer qui se brise,

Je suis un pâle enfant...

Je suis un pâle enfant du vieux Paris, et j’ai

Le regret des rêveurs qui n’ont pas voyagé.

Au pays bleu mon âme en vain se réfugie,

Le cap Éternité

C’est un bloc écrasant dont la crête surplombe

Au-dessus des flots noirs, et dont le front puissant

Domine le brouillard, et défie en passant

Le moulin

Le moulin tourne au fond du soir, très lentement,

Sur un ciel de tristesse et de mélancolie,

Il tourne et tourne, et sa voile, couleur de lie,

L’azur

De l’éternel Azur la sereine ironie

Accable, belle indolemment comme les fleurs,

Le poète impuissant qui maudit son génie

Dessein de quitter une dame qui ne le contentait que de promesse

Beauté, mon beau souci, de qui l’âme incertaine

A comme l’Océan son flux et son reflux :

Pensez de vous résoudre à soulager ma peine,

Inscription

Mon âme est comme un ciel sans bornes ;

Elle a des immensités mornes

Et d’innombrables soleils clairs ;

Spleen

J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans.

Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,

De vers, de billets doux, de procès, de romances,