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je pense aux arbres et à leur ancrage
je pense à ma mère juchée bancale dans la cuisine
je pense aux autobus jaunes
dans la cour de récré
cordés en ordre pédagogique
I
DANSER l'air
et ses proies SANS CORPS
II
à voir le sol
le flanc brillant
c’est du corps
enfin
la lame
viens
Ce matin, je me lève avant toi comme tous les matins pour ma tasse de silence. Les barrières tombent toutes. Je voyage — cinq outardes fendent les eaux.
elle m’a regardée un bon moment de loin
pour mieux me dire
ma fille
elle m’a caressé le bras
tout doucement
elle m’a coloré la peau
je n’ai pas compris comment
elle a fait ça
Quelqu'un finit toujours par me dire
T'es pas rendue trop grande
pour ça ?
Comme s'il y avait un âge limite pour
jouer
niaiser
ne rien faire
Dans un dictionnaire, il est écrit que
«l'amour est un mouvement,
une affection, de la tendresse».
Je m'efforce de comprendre comment ça peut
disparaître
et je tourne en boucle dans ma tête
Je suis souvent seul à l'avant
Dans le siège indésiré des indésirables
Ma solitude est confortable
Je scanne des paysages
Mon regard est une vigie
la parole précise n’a pas de langue
Je me réveille un dimanche et ça sent la levure chaude, alors elle doit être en train de faire du pain.
Ignores-tu que la réalité est composée de zones sensibles ?
Vois-tu la montagne
Les oiseaux qui en sortent par division
Étrange production soulevée par l’énergie qui la parcourt
Les maisons et les machines
J’attends
pour ouvrir la fenêtre
retrouver c’est quoi
la grâce du vide
je me répète souvent
je pense que je vais mieux
je pense que je guéris
nous aimerions vous faire du bien
vous offrir à nos frais
une journée de rêve
voyage payé par le poème tout compris
des ortolans de l’eau turquoise
cocotiers ventilateurs
Ça suffit
Aucun geste
Je paie mes factures
Silence
Je réponds
Que je parle des yeux
Il y a tout à comprendre
Immédiatement je jeûne
Pour quelques minutes
Je n’accède pas à la folie
qui descend sur moi
telles les langues de feu.
Les images fabuleuses
se recomposent.
Ma mère la folie s’exerce
devant ses enfants
Si l’on s’arrête à cette photo
Si l’on mesure les époux
Deux fois grands
Comme les mariées de neuf ans
Si l’on regarde leurs regards
Comme le souhaite la photographe
je ne vous parle pas de moi
qui peut croire que sa vie
intéresse vraiment d’autres vies ?
je vous parle des autres vies
d’une vie autre que la mienne
d’une vie qui ne m’appartient pas
Bon an mal an,
bon gré mal gré,
bon pied bon œil,
toujours pareil,
toujours tout neuf,
c’est toujours vrai,
c’est toujours vain,
ça persévère,
ça s’exaspère,
Il y a des jours où je revois Sudbury
dans l’asphalte craqué des rues de Saint-Boniface.
La mémoire s’écoule comme la noirceur de la ville où j’ai grandi
(pour Jean Marc et Brigitte)
Je me réveille au son d’une pelle qui gratte la
neige.
Je me réveille au son de cloches qui sonnent contre
les fenêtres endormies.
Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Je marche à côté d’une joie
D’une joie qui n’est pas à moi
D’une joie à moi que je ne puis pas prendre
je les ai déjà
ces mots qui écorchent
trichent
calfeutrés sous ma langue
like
what do you mean
nothing bien sûr nada
c’est juste moi
qui se tait
cet amuïssement
Nous aurons connu
le ciel plombé, les sapins noirs,
les rauques croassements des corbeaux
Qui je suis
Je l’ignore !
J’entre et je sors de moi-même souvent,
Je me demande audience parfois,
Je me rencontre en de noirs corridors,
Quatre canards dans le lac
Et
Douze chasseurs dans les roseaux
Petite halte dans la nuit
Où le sommeil s’en va sans bruit
De mes paupières relevées.
Et je ne sais plus le temps qu’il fait
ni de quelle saison nous tirons ces jours,
je crois qu’il fait de grands escaliers de bois
Comme ruisseaux mes amis vont
le temps s’en va comme rivière
Je vis, mais c’est hors de moi-même,
Je vis, mais c’est sans vivre en moi ;
Je vis dans l’objet de ma foi
Je ne sais pourquoi
Mon esprit amer
D’une aile inquiète et folle vole sur la mer.
Il met ses lunettes de soleil
Un hijab pour son âme
Pour stopper son cri de détresse
heureusement par miracle par souci de tranquillité par appétit du
malheur par esprit de camaraderie par lâcheté par folie du sacrifice
par résignation par un coup de tête heureusement par mille coups
Je t’écris pour te dire que je t’aime
que mon cœur qui voyage tous les jours
— le cœur parti dans la dernière neige
J’avais un grand arbre vert
Où nichait mon enfance ailée,
Un arbre grand troué de lumière
Au bout du quai
déjà
ce n’est plus la terre
Loin du temps, de l’espace, un homme est égaré,
Mince comme un cheveu, ample comme l’aurore,
Les naseaux écumants, les deux yeux révulsés,
Il n’y a jamais de porte entre moi et l’ombre,
jamais de séparation entre tant de pas ;
je marche sans cesse
Voyage
dans la parole
Où trouver, moi,
Est-ce déjà l’heure
Ma tendre peur
Est-ce l’heure l’heure
Il manquait quelque chose
dans le miroir
peut-être les tentures bleues
Il est d’étranges soirs, où les fleurs ont une âme,
Où dans l’air énervé flotte du repentir,
Où sur la vague lente et lourde d’un soupir
Comme un qui s’est perdu dans la forêt profonde
Loin de chemin, d’orée et d’adresse, et de gens :
Comme un qui en la mer grosse d’horribles vents,
La lune était sereine et jouait sur les flots. —
La fenêtre enfin libre est ouverte à la brise,
La sultane regarde, et la mer qui se brise,
Journées dans des jours
Vécus à peu près,
Heures sans amour
De l’éternel Azur la sereine ironie
Accable, belle indolemment comme les fleurs,
Le poète impuissant qui maudit son génie