le vent joue avec moi comme il parle aux feuilles
tous les jours je me dirige vers le jardin de la gare je songe à
l’énigme de mes gestes pense oui mais je dis non un court-cir-
cuit se produit je suis toujours assis sur un banc à observer un
oranger et je veux disparaître m’abandonner au bruit du train
au rythme mécanique de sa trajectoire aux notes métalliques
et imaginaires qui prendraient en charge ma voix je suis la
proie d’une image d’autrefois le temps est une dette sans nom
sans visage une dette adressée à personne j’attendais un rôle
inexistant une main de l’aube jusqu’au crépuscule m’absorber
dans la lumière qui s’en allait qui revenait j’attendais avec la
conviction que l’horizon avance sans jamais se rapprocher
pourtant une autre journée s’est écoulée et je n’ai pas bougé
la fraîcheur de l’oranger me transporte dans son pays où les
pêcheurs rentrent au port où les enfants jouent au foot où il est
écrit qu’il n’y a pas de fuite possible que la parole est un oi-
seau noir que son vol laisse derrière lui les traces de l’invisible
j’entendais ce rêve le soleil descendait au même rythme que la
lune montait la balance de l’univers deux miroirs géants an-
tagonistes et la voie ferroviaire entre les deux
Hector Ruiz, « Le vent joue avec moi... », Gestes domestiques, Éditions du Noroît, 2011.