Il y a des jours...

Il y a des jours où je revois Sudbury

dans l’asphalte craqué des rues de Saint-Boniface.

La mémoire s’écoule comme la noirceur de la ville où j’ai grandi

dans le nord de l’Ontario. La slague en traînées incandescentes

brûle du noir et crépite en se refroidissant.

Je me tourne vers la rivière basse en ce temps de l’année.

À la mi-temps de février

le soleil bascule dans le ciel

et fait poindre des taches de limon qui rongent

les amoncellements de glace en retrait des berges de la Rouge.

Je revois la Petitcodiac

comme à 17 ans et je reçois toutes les odeurs.

L’eau bavera de ce côté en premier. En ange ou en démon

ou comme la mer crache l’écume de l’hiver.

 

 

Je marche lentement le long de cette étroite lisière vaseuse

menant à la pointe de terre au confluent des rivières Rouge et Assiniboine.

Dans le lit d’une rivière rouge qui repose sous les glaces

je couche mon errance

depuis l’Ontario jusqu’en Acadie et aux prairies de l’Ouest.

La terre a changé de couleur maintenant que je m’apprête à blanchir.

 

 

À la mi-temps de février

dans la brume qui s’échappe de la terre, je m’arrête.

Je regarde longuement pour distinguer

au travers de la buée du souffle

la chair épaisse des arbres nus qui décorent les berges de Saint-Boniface. 

Référence bibliographique

Louise Fiset, « Il y a des jours... », Soul pleureur, Éditions du Blé, 1998. 

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