Blanc

J’écris comme on consulte un album de photos

une photographie, c’est l’existence au plus-que-parfait du subjonctif

à l’imparfait du subversif, du disjonctif

 

J’essaie de me souvenir

comme l’enfant de la photo en couleur essaie de survenir

il se demande quel âge il aura en 2000

quand il aura terminé et miné ses études universitaires

 

Il rêve d’écrire un poème autobiographique

biophotographique, autobiograffiti

Quand il aura assez vécu pour ne plus écrire au futur antérieur

de la foutaise extérieur

 

Il ne sert à rien de vivre

si sa vie se perd au gré du présent, de l’opalescence

de l’espace qui sépare les photos en couleur dans l’album

Le temps est blanc et hermétique

Le temps taille les images

Les images taillent l’espace

L’espace taille les mots

Les mots taillent le temps

au stylet, au stylographe, que je tiens, inerte

comme la photo en couleur de mon grand-père

qui signe le registre matrimonial de mes parents

 

L’encre est noire comme un abîme

 

Je suis seul à Chapleau (Ontario)

(C’est écrit ainsi, de façon insignifiante,

dans la postface de Maria Chapdelaine.)

C’est la postface de mon passé

Je vois des arbres

Je sens la sève des conifères

J’entends le crépitement des aiguilles qui me crèvent les yeux

laissant couler ma mémoire en un flux sanguin

qui se coagule en encre noire

 

Je cherche un signe postcurseur de mes souvenirs autour de moi

 

Je cherche une cartromancière qui me raconterait mon passé

J’ai trop longtemps cherché mon avenir dans les signes du présent

 

Je n’ai qu’un présent perpétuel

 

J’ai atteint mon avenir

 

J’ai éteint mon passé

 

Je veux que s’irise le blanc de ma mémoire

 

Je veux souiller ce sens trop propre

 

Je marche en quête d’un signe :

des arbres, des lacs, la faune, des rails.

 

Non

 

Tout est univoque

 

Je suis un homme qui marche

 

[...]

Référence bibliographique

Éric Charlebois, « Blanc », Faux-fuyants, Le Nordir, Ottawa, 2002.

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