Stances

Quand sur moi je jette les yeux,

À trente ans me voyant tout vieux,

Mon cœur de frayeur diminue ;

Étant vieilli dans un moment,

Je ne puis dire seulement

Que ma jeunesse est devenue.

 

Du berceau courant au cercueil,

Le jour se dérobe à mon œil,

Mes sens troublés s’évanouissent.

Les hommes sont comme des fleurs,

Qui naissent et vivent en pleurs,

Et d’heure en heure se fanissent.

 

Leur âge, à l’instant écoulé,

Comme un trait qui s’est envolé,

Ne laisse après soi nulle marque ;

Et leur nom, si fameux ici,

Si-tôt qu’ils sont morts, meurt aussi,

Du pauvre autant que du monarque.

 

Naguère vert, sain et puissant,

Comme un aubépin florissant,

Mon printemps était délectable.

Les plaisirs logeaient en mon sein ;

Et lors était tout mon dessein

Du jeu d’amour et de la table.

 

Mais, las ! mon sort est bien tourné ;

Mon âge en un rien s’est borné ;

Faible languit mon espérance ;

En une nuit, à mon malheur,

De la joie et de la douleur

J’ai bien appris la différence !

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