Nous aurons connu
le ciel plombé, les sapins noirs,
les rauques croassements des corbeaux
de la Westphalie et de la Hesse
où les naufrages de l’enfant
se sont joués.
Sable entre les doigts,
la vie aura glissé.
Nous aurons connu
l’éblouissement du corps de l’amoureuse
dans le désordre des vingt ans
parmi les Hassidim, les Grecs, les étrangers.
Outremont-les-Tracks. Au pied de la montagne.
Sable entre les doigts,
la vie aura glissé.
Nous aurons connu
la lumière nue,
le scalpel de la clarté,
l’endroit précis où l’île
gravide de pierres, de figues et d’oliviers
prend racine dans la turquoise de la mer.
Et atteindre aux dieux. Elaphonissos, Laconie.
Sable entre les doigts,
la vie aura glissé.
Nous aurons connu
la perte des repères,
le jour stupéfié de moiteur,
la lancinante susurration des moustiques,
l’absolue corrosion des êtres et des choses,
le malaise dans le temps rond, le délire, les fièvres.
Dakar, Jet d’eau.
Sable entre les doigts,
la vie aura glissé.
Et nous voici, ancrés comme des arbres,
sur nos transparents sentiers de chèvre.
Racine, chemin Flodden cul-de-sac.
Sable entre les doigts,
la vie aura glissé.
Sur quel vide ultime
s’ouvrira désormais
l’immobile chemin ?
Alexis Lefrançois, « Nous aurons connu », Idéogrammes blancs, Les éditions de la pleine lune, 2009.