Je me souviens d’une station wagon qui coupe la nuit
qui ouvre la nuit du nord comme un couteau de chasse
ouvre sa proie
Nous sommes tous là
ma mère ma sœur son mari et ses enfants tous
dans cette voiture c’est
Johnny B. Good Leblanc qui conduit son visage vaguement
éclairé par la lueur du tableau de bord
Je suis le seul des passagers qui ne dort pas tandis
qu’on continue avec un océan de vert meurtri de
chaque côté
Ma sœur dort sur le banc d’en avant
la noirceur qui rentre et sort de sa bouche ouverte
La nuit est longue et sans plis
La nuit est longue et sans plis
La nuit est longue et sans plis
La nuit est longue et sans Soudainement
quelque chose déchire le tissu quelque chose bouge
là et
le pare-brise devient un écran cinémascope les phares
de Twentieth Century Fox et Gulf Western éclairant
l’animal l’animal l’orignal en plein milieu du chemin
qui fige et
fixe son destin qui roule vers lui à 60 milles à
l’heure
Ses yeux ses yeux ses yeux ô dieu son regard jusqu’à
la dernière minute et le choc sourd-muet de fer contre
chair
Et ma sœur qui se réveille en criant un grand cri
fou et
final comme si l’âme de l’orignal avait passé dans
elle en
mourant et enfin
le silence
le silence de notre silence dans
le silence entre
Timmins et Toronto.
Les souvenirs les plus marquants n’impliquent pas nécessairement les événements les plus graves, mais les plus soudains.
1. Quelle est l’image qui apparaît dès le début du poème qui permettrait d’en laisser entrevoir la fin ?
2. Quel pourrait être le lien familial entre Johnny B. Good Leblanc et le locuteur ? En vous renseignant sur la chanson Johnny B. Goode de Chuck Berry, qu’est-ce qui vous permet de dire cela?
3. Montrez que, selon le locuteur, le destin peut s’incarner dans quelque chose.
4. Un vers est répété trois fois et demie; lequel ? Quel est l’effet de cette répétition ? Quel est l’effet de la rupture au milieu du quatrième vers ?
5. Quel est le contraste entre l’état de la bête et l’état de la sœur du locuteur à la fin ?
6. Identifiez les passages qui sont des rejets, c’est-à-dire des vers dont la suite logique se poursuit au vers suivant. Comment les récitez-vous ? Quel est l’effet qui y est alors créé ?
Activité d’écriture
Produisez un poème où vous relatez un souvenir certes marquant, mais en y incluant des comparaisons et des métaphores qui sont issues de la vie apparemment banale et du quotidien. Le but est alors de permettre au lecteur ou à l’auditeur de voir d’autres dimensions à l’événement et de rendre celui-ci moins tragique et plus ancré dans le quotidien, moins effrayant et mieux intégré.
Liens utiles
L’auteur et slameur David Goudeault présente l’œuvre de Patrice Desbiens
Un article de Radio-Canada qui contient plusieurs petits reportages sur la vie de Patrice Desbiens
Desbiens, Patrice, « Je me souviens d’une station wagon… », Sudbury, Prise de parole, 1983.