C’est la guerre
c’est très excitant
la terre s’ouvre, on peut voir dedans
on peut voir
ce qui se passe derrière les portes closes
l’âme qui loge dans le ventre
la cuisine dans les logements
les latrines qui explosent derrière les baraquements
on aperçoit des choses dans le ciel
des choses rondes et lumineuses
qu’on n’avait jamais vues auparavant
ça laisse des traces longtemps
ça éclate
on dirait des applaudissements
qui jaillissent autour de nous
derrière nous, ça surprend!
on comprend que tout n’est que mouvement
on le sent
sur la peau, sur tout le corps
sur les tympans
dans les narines
aussi une odeur
de sang
qui nous fait penser
à ce qui se passe à l’intérieur de nous
à cette espèce d’entortillement
de tripes, de foie, d’estomac
de cœur avec ses veines et ses artères
même de pancréas
c’est la guerre dehors
comme en dedans
c’est la guerre
maintenant
les prières ne sont plus exaucées
dorénavant
attachez-moi les mains
videz-moi le ventre
coupez-moi la tête
si vous voulez
qu’on le réveille, celui-là!
que celui qui a le plus long sabre
lui tranche la gorge
coupe le cou!
coupe!
maintenant!
La guerre dans tous ses éclats, de l’impuissance à l’admiration, pour aboutir à la froide lucidité.
1. Comment pouvez-vous voir un genre de spectacle de violence dans ce poème ? Pourquoi pouvez-vous dire que le locuteur y perd doublement la tête ?
2. Quel semble être l’état émotif paradoxal qui s’empare du locuteur ? Quel semble être le changement affectif qui est exprimé dans la troisième strophe ? Comment ce changement peut-il contribuer à expliquer l’état émotif du locuteur ?
3. La dernière strophe énonce un changement de locuteur. Pourquoi, tout à coup, une deuxième et une troisième personnes y apparaissent-elles ? Qui sont-elles, selon vous ? Que devient le locuteur, selon vous ?
4. Certains vers plus longs incluent des énumérations, alors que d’autres sont plus brefs. Quel est l’effet qui découle, notamment, de la récitation des passages suivants :
a) « sur les tympans […] de sang » comparativement à « qui nous fait penser […] et ses artères »
b) « même de pancréas »
c) la troisième et la quatrième strophe, avec ses vers d’un mot
d) la répétition du son -ant, -ent, -end, -emps, -ans des deux premières strophes ?
Activité d’écriture
Imaginez que vous êtes pris·e au piège dans le cadre d’un événement ou d’une situation qui vous dépasse de beaucoup et où vous n’avez, selon vous, aucun impact.
a) Choisissez une approche qui vous permettra de polariser un champ sémantique, donc de produire des images contrastantes.
b) Incluez-y des images issues d’un champ qui, à première vue, est très peu poétique, par exemple les organes humains qui ponctuent le poème de Louis-Philippe Hébert.
c) De là, essayez de disposer votre poème à la verticale, en prenant soin d’isoler, dans certains vers, des images dont la chute est percutante.
d) Enfin, jouez, par endroits, avec l’assonance, donc la répétition d’un son vocalique (résultant de l’emploi de voyelles).
Liens utiles
Une définition de « Crime contre l’humanité » sur Wikipédia
Article sur « Les organisations combattantes irrégulières en Bosnie Herzégovine » de Ana Otašević publié dans la revue Stratégique, vol. 2, n° 103, 2013, p. 219-230.
En quoi le ton est-il différent d’un reportage ou d’une chronique à l’autre ? Pourquoi, selon vous, si vous considérez l’année de publication ou de diffusion de ces deux articles ?
« “J’ai décapité une touriste, je regrette” », Agence France-Presse, TVA Nouvelles, 30 mai 2019.
« L’État islamique revendique la décapitation d’un second otage américain », Radio-Canada, 2 septembre 2014.
Hébert, Louis-Philippe, « C’est la guerre! », Correspondance de guerre, Montréal, Les Herbes rouges, 2008.