barque funéraire
sans rame
avec le mort étendu sur une table basse
(très petit mort d’un seul bloc fragile un enfant
sans doute)
sur lequel s’élèvent les bras figés des pleureuses
sous le dais aux deux oiseaux d’angle
les autres sont prostrés
sept parents ? sept esclaves ?
tournés vers le point central qu’est le gisant
seul
un des personnages adonnés à la douleur
– lui-même tourné vers le mort –
porte la main gauche à son cœur
(dans cette scène fixée pour l’éternité ou le passage)
le bras droit rigide pend
légèrement détaché du corps
le bras d’un homme saisi par l’effroi
quatre passeurs
que les siècles ont privé de leurs rames
se tiennent debout
trois d’entre eux regardant vers l’avant de la barque
– indiqué par les pieds du mort –
le quatrième
tourné vers l’arrière
sans doute préposé au gouvernail
à l’avant de la barque encore
une femme adossée au mât
– résolument détournée de la scène
bien qu’accablée –
les deux bras ballants
regarde au loin
comme quelqu’un qui déjà
à la fin du désespoir
retrouverait la terre
Lapointe, Paul-Marie « Barque funéraire », L’espace de vivre, Montréal, L’Hexagone, 2002 [1973].