L’infini

Laisse-le

Il vient

Laisse-lui

La pluie le printemps le buis l’ombre

Laisse l’étreinte et l’ombre aux mots

Laisse à leurs voix la rue et l’enfant

Laisse à cet homme le repos

Laisse-le

Laisse-nous

 

Laisse les mots au temps

Laisse l’ombre s’éblouir

Ne l’éreinte pas

Laisse le jour entrer

Laisse l’aube à l’ami

 

Laisse l’empreinte sur la peau

Laisse l’eau venir aux mains 

Laisse l’oubli aux morts

Souviens-toi

Laisse à la poussière la devise qui le dit

Un mot d’ordre le floue

Laisse le doigt dessiner

Le midi de l’os le vif et la mémoire

 

Laisse la hache et le bruit

Laisse la tête détruite

Laisse à la boue celui qui l’a détruite

Écarte-les

Laisse un fusil se tourner contre lui

Laisse transi l’artificier

Laisse au rebut les désirs d’éboulis

 

Laisse l’enfant près du mourant

Qu’il grandisse et l’enseigne le remplace

Qu’il l’augmente et l’écoute le récite

Laisse-le prendre la route

Semer le vent

 

Laisse vivre

Assèche le sel

Laisse la sève

Laisse un rosier près de la vigne

Laisse le sang monter aux joues

Laisse les yeux former le mur

Laisse la rue quêter les fleurs

 

Et regrette

De ne pouvoir être

À la ville et au moulin

Au four et aux charmilles

Au mors aux caresses à la mer

Quand il les faut en même temps

Regrette

La pierre et le laurier jetés aux cendres

Regrette

La persistance des grilles

Regrette

De ne pas être entendu quand tu le cries

Regrette

L’arbre et la feuille

Les mains posées

La fenêtre au vent

Une porte entrebâillée

Regrette

Mains et mondes

Demande encore le défendu

  1. La répétition de « laisse » est à la base du rythme de ce poème. Que ressentez-vous dans la dernière strophe où cette formule n’est pas utilisée ? 
  2. Ce « laisse » répétitif joue un rôle musical mais aussi de fond. Si l’on le remplaçait par un autre mot — « donne », par exemple, ou « prends », quel serait le résultat ?
  3. Le titre de ce poème est « ∞ ». Trouvez-vous que ce symbole a plus de sens que le mot « l’infini » ? 
  4. Travaillez votre récitation : Ce texte offre une série d’images au lecteur. Essayez de les visualiser pour créer un chemin narratif qui étayera votre récitation.  
  5. Tentez une expérience de création littéraire :
    Acceptez le défi dans le mot « laisse ». Choisissez un seul vers qui débute avec cette anaphore — « Laisse un rosier près de la vigne », par exemple — et écrivez une dizaine de vers décrivant comment vous l’avez fait. 

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Regardez Michel Van Schendel lors de la Nuit de la Poésie en 1980. 

 

 
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Référence bibliographique

Michel Van Schendel, « ∞  », Mille pas dans le jardin font aussi le tour du monde, Montréal, Éditions de l’Hexagone, 2005.

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