Les quatre sans cou

Ils étaient quatre qui n’avaient plus de tête,

Quatre à qui l’on avait coupé le cou,

On les appelait les quatre sans cou.

 

Quand ils buvaient un verre,

Au café de la place ou du boulevard,

Les garçons n’oubliaient pas d’apporter des entonnoirs.

 

Quand ils mangeaient, c’était sanglant,

Et tous quatre chantant et sanglotant,

Quand ils aimaient, c’était du sang.

 

Quand ils couraient, c’était du vent,

Quand ils pleuraient, c’était vivant,

Quand ils dormaient, c’était sans regret.

 

Quand ils travaillaient, c’était méchant,

Quand ils rôdaient, c’était effrayant,

Quand ils jouaient, c’était différent,

 

Quand ils jouaient, c’était comme tout le monde,

Comme vous et moi, vous et nous et tous les autres,

Quand ils jouaient, c’était étonnant.

 

Mais quand ils parlaient, c’était d’amour.

Ils auraient pour un baiser

Donné ce qui leur restait de sang.

 

Leurs mains avaient des lignes sans nombre

Qui se perdraient parmi les ombres

Comme des rails dans la forêt.

 

Quand ils s’asseyaient, c’était plus majestueux que des rois

Et les idoles se cachaient derrière leur croix

Quand devant elles ils passaient droits.

 

On leur avait rapporté leur tête

Plus de vingt fois, plus de cent fois,

Les ayant retrouvés à la chasse ou dans les fêtes,

 

Mais jamais ils ne voulurent reprendre

Ces têtes où brillaient leurs yeux,

Où les souvenirs dormaient dans leur cervelle.

 

Cela ne faisait peut-être pas l’affaire

Des chapeliers et des dentistes.

La gaieté des uns rend les autres tristes.

 

Les quatre sans cou vivent encore, c’est certain,

J’en connais au moins un

Et peut-être aussi les trois autres.

 

Le premier, c’est Anatole,

Le second, c’est Croquignole,

Le troisième, c’est Barbemolle,

Le quatrième, c’est encore Anatole.

 

Je les vois de moins en moins,

Car c’est déprimant, à la fin,

La fréquentation des gens trop malins.

Référence bibliographique

Robert Desnos, Fortunes, © Éditions GALLIMARD.

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