Petite halte dans la nuit
Où le sommeil s’en va sans bruit
De mes paupières relevées.
Ce doit être ici le relais
Où l’âme change de chevaux
Pour les trois heures du matin.
Ce sont de gris chevaux de feutre,
Leurs naseaux ne frémissent pas
Et l’on n’entend jamais leurs pas
Même sous l’écorce de l’être.
J’ai beau me trouver dans mes draps
Ils me tirent sur une route
Que je ne puis apercevoir
Et j’ai beau rester à l’écoute
Je n’entends que mon cœur qui bat
Et résume dans son langage
Où je perçois quelques faux-pas
Son courage et mon décourage.
J’avance d’un pas incertain
Dans un temps proche et très lointain
Sous les décombres du sommeil.
Je suis sur les bancs de l’école
Parmi des enfants, mes pareils,
Et voilà que l’on m’interroge.
— Qui donc était si malheureux ?
— La France coupée au milieu.
— Qui souffrait d’espérer encor
Quand l’honneur même semblait mort ?
J’étais trop triste pour répondre
Et devenais larmes dans l’ombre
Puis je reprenais le chemin
Qui conduisait au lendemain,
Tiré par des chevaux sans gloire
Hors de l’enfance et de l’Histoire
Jusqu’à ce que parût enfin
Modeste, le petit matin.
Jules Supervielle, « Le relais », Choix de poèmes, Paris, Gallimard, 1947.