Le bruit que fait Pina Bausch quand elle rêve

Le bruit que fait Pina Bausch quand elle danse est le bruit d’une bouteille vide, une bouteille qui fend l’air, lancée avec force et retenue avec une force plus grande encore, une bouteille qui remue un peu mais qui ne bouge pas, qui reste dans la main, qui reste vide dans la main ouverte, c’est le bruit d’une scène trop haute ou d’une voix trop basse, d’une taille qui ne convient pas, d’un corps qui ne convient à rien, le bruit d’une femme qui court, qui court, saute et tombe, une chaise, un bâton, une coupe vide qui est remplie peu à peu, qui est pleine, qui déborde, une femme assise sur une chaise, sur un rocher, sur le sol, ses yeux brillants, la surprise, l’arrêt, le silence, le grand silence, le rythme du mur qui tombe, le rythme du mur qu’on reconstruit, le mur de plus en plus haut, le rêve de plus en plus clair, les cheveux de plus en plus noirs, le rire, la lune, la grande lune, la grande scène des morts, leur danse de fantôme, leur tête de fantôme, une lourde pierre, le cœur qui bat, le cœur qui bat au début lentement puis vite, une salle vide avec de longs rideaux rouges, un théâtre en ruine, les rideaux rouges qui cachent quelque chose, mon grand cœur blanc qui cache un cœur plus blanc encore, le drame derrière, toujours là, une vieille peine venue de loin, une ville fantôme, tous ces morts derrière moi, tous ces morts derrière elle, tous ces morts qui ne disent rien mais qui tiennent dans la paume d’une main, tous ces morts avalés en silence, qui entrent dans le corps et y restent, qui entrent dans le corps sans en ressortir 

Bibliographical info

Michaël Trahan, « Le bruit que fait Pina Bausch quand elle rêve » (extrait), La raison des fleurs, Le Quartanier, 2017. 

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