J’ai longtemps cru que les bateaux voguaient par deux
mais il en est qui dorment seuls
dans le fond des estuaires
Ce n’est ni le froid ni la rouille qui les tourmentent
mais la peur d’être ensablé
sans pouvoir s’entendre dire
Ne t’inquiète pas je vais te tirer de là
Ce qui les tourmente
c’est le silence des marées quand le cœur démâte
le poids de leur propre corps cloué au sol
quand l’eau se retire
Ce qui les effraie
c’est la nuit qui tombe
l’ombre qui boit la lumière jusqu’à la lie du jour
la crainte d’être mis au rebut pour le reste de la vie
J’ai longtemps cru que les bateaux voguaient par deux
Et je le crois encore
quand un sourire ouvre à marée haute
la longue route des promesses
Bruno Doucey, « En rade », Ceux qui se taisent, Éditions Bruno Doucey, 2016, p. 97.