Parbleu bon ! je vais par les rues.
Mais je n’y vais pas de mon chef,
Ni de mes pieds, qui par méchef
Sont parties très malotrues :
Je marche sur pieds empruntés.
Ceux dont mes membres sont portés
Sont à deux puissants porte-chaises
Que je loue presque un écu.
Ah ! que les maroufles sont aises,
Au prix de moi qui suis toujours dessus le cul !
Non que s’asseoir sur le derrière
Soit laide situation ;
Car parmi toute nation
On s’assied en cette manière;
Aussi ne dis-je que s’asseoir
Soit une chose laide à voir ;
Mais de dire qu’elle soit bonne,
C’est ce que je ne dirai point,
Avec la douleur que me donne
Mon derrière pointu qui n’a plus d’embonpoint.
Revenez, mes fesses perdues,
Revenez me donner un cul.
En vous perdant, j’ai tout perdu.
Hélas, qu’êtes-vous devenues?
Appui de mes membres perclus,
Cul que j’eus et que je n’ai plus,
Étant une pièce si rare,
Que l’on devrait vous tenir cher !
Eh ! que la coutume est barbare
De porter vêtements afin de vous cacher !
Que de la chaise qui me porte
J’aperçois de gens cheminer!
Hélas! que me faut-il donner
Pour pouvoir marcher de la sorte !
Quiconque me fera marcher
Sache que je n’ai rien de cher
Comme mes bourrelets de laine :
Je les lui donne de bon cœur,
De carmes main de papier pleine,
Et serai dessus tout son humble serviteur.
Mais je sens ma chaise arrêtée :
Je pourrais bien être arrivé,
Et je n’aurai pas achevé
Cette pièce un peu trop hâtée.
Achevons au moins ce dizain,
Nous ferons le reste demain.
Porteurs on vous va satisfaire ;
Taisez-vous donc : vous m’empêchez,
Vous troublez toute mon affaire.
Mais ne vous taisez plus : mes vers sont dépêchés.
Scarron, Paul, « Le chemin du Marais au faubourg Saint-Germain! », Recueil de quelques vers burlesques, Genève, Minkoff Reprint, 1973 [1643].