Chanson

J’ai pris de la pluie dans mes mains tendues

— De la pluie chaude comme des larmes —

Je l’ai bue comme un philtre, défendu

À cause d’un charme ;

Afin que mon âme en ton âme dorme.

 

J’ai pris du blé dans la grange obscure

— Du blé qui choit comme la grêle aux dalles —

Et je l’ai semé sur le labour dur

À cause du givre matinal ;

Afin que tu goûtes à la moisson sûre.

 

J’ai pris des herbes et des feuilles rousses

— Des feuilles et des herbes longtemps mortes —

J’en ai fait une flamme haute et douce

À cause de l’essence des sèves fortes ;

Afin que ton attente d’aube fût douce.

 

Et j’ai pris la pudeur de tes joues et ta bouche

Et tes gais cheveux et tes yeux de rire,

Et je m’en suis fait une aurore farouche

Et des rayons de joie et des cordes de lyre

— Et le jour est sonore comme un chant de ruche !

Référence bibliographique

Francis Vielé-Griffin, « Chanson », Poèmes et poésie : joies, Paris, Mercure de France, 1895.

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