Seul, je regarde la troupe qui s'approche couteaux
entre les dents. Elle marche, dérisoire
comme le boeuf à la cape dans des rêves qui
s'essoufflent sur le sable aux sabots. On poignarde,
on égorge sur les boulevards, la nuit.
On écrit sur les murs, on saccage et on pille. La
troupe signe son texte sous les lampes halogènes,
dans les rues, les impasses, dans les caves
où les livres ne servent plus à rien. Le sens n'en
finit plus d'encombrer les espaces, d'ériger près
des corps les cachots, les asiles. Le sens et sa
terreur s'avancent d'un seul pas. Ils ont pris,
dans la nuit, la forme de cernes mauves autour
des yeux d'aveugles, sur des visages pâles et
osseux comme un crâne. Dans cette ville réelle
où j'écris dans ma tête, le sens a les allures d'un
vieux pantin qui tue.
Marcel Labine, « 9 Seul, je regarde… »,Territoires fétiches, 2001 (éd. originale 1990), Montréal, Herbes rouges, p. 59.