Lettre au Père Falaise

   Tout est blanc au cœur des bois : le vent érode les heures, les anges perdent leurs visages; comme une petite fille revenant des nues, je montre mon corps à la nuit. Je vous le dis, mon Père, ce n’est pas le ciel avec ses cris orphelins qui fera de ma vie un mirador : je ne suis ni une rivière ni une ombre, mais un os de peur, à enfouir sous la mer.

 

   Depuis Noël, j’ai sur mes épaules votre errance qui veille, une main, une neige de juin. Orion, Pollux, Cassiopée, j’ai vu disparaître une dernière fois les étoiles de ma naissance, j’ai donné mon sang aux oiseaux. Je vous l’ai déjà dit, les vents de Lourdes me gardent chaque jour ici, sans rêve ni patience. À n’importe quelle heure, je reprends là où j’ai abandonné, comme la dernière des mortes. Je suis un royaume aveugle.

 

   Je ne sais pas pourquoi, il me faudrait prendre des coups lorsque la lumière fuse, qu’elle soit brune, violette, qu’elle compose des paysages de mer sur ma peau. Seulement le dire me fait faire l’étoile, mon Père, et si le vent cesse, si un jour vous êtes là, sachez que ceci n’est pas adressé à vous, mais au froid qui m’arrive, à la manière d’un adagio.

Référence bibliographique

Benoit Jutras, « Lettre au Père Falaise » (extrait), L’Étang noir, Les Herbes rouges, 2005.

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