Dans un bar bondé à Belfast,
une voix de campagne, fumée bredouillante,
plonge dans mes oreilles.
Hé ben. T'es pas mal costaude.
Je me suis dit qu'il croyait
me faire un compliment.
Ces épaules sont larges.
Ma mère est une fille de fermier,
sa voix peut traverser trois champs.
D'elle j'ai reçu des yeux bleus, des hanches
bonnes pour porter des enfants et des pieds
bien enracinés dans notre arbre généalogique.
D'elle, j'ai appris
que penser d'abord à soi est un vice.
Qu'il est important de mettre les patates
sur la table pour tes frères
avant de remplir la demande
pour t'inscrire à l'université.
Elle a fait les deux.
Elle, la première dans la famille
à vivre de ses mots
plutôt que de ses mains.
Le long de la route, elle a grandi
anormalement silencieuse.
C'est parfois difficile
d'expliquer le poids
du papier.
Dans le sous-sol de l'église,
après les funérailles de mon arrière-grand-mère,
ils ont retourné mes paumes
en serrant mon avant-bras
pour voir si j'avais déjà accompli
une honnête journée de travail.
Je n'avais qu'une callosité à leur montrer.
La marque entre les articulations
du doigt d'honneur de ma main droite.
Image corporelle et confiance en soi.
Rachel McCrum, « Large », Le premier coup de clairon pour réveiller les femmes immorales, Mémoire d’encrier, 2020, p.89 et 91. (Traduction de Jonathan Lamy)