Ville morte

Lentement, sourdement, des vêpres sonnent

Dans la grand’paix de cette vague ville ;

Des arbres gris sur la place frissonnent,

Comme inquiets de ces vêpres qui sonnent.

Inquiétante est cette heure tranquille.

 

Un idiot qui va, revient, et glousse,

Content, car les enfants sont à l’école ;

À sa fenêtre une vieille qui tousse ;

À l’idiot qui va, revient et glousse,

Elle fait des gestes, à moitié folle.

 

Murs décrépits, lumière décrépite

Que ce Novembre épand sur cette place :

Sur un balcon du linge froid palpite,

Pâle, dans la lumière décrépite.

Et puis le son des cloches qui se lasse...

 

Tout à coup plus de cloches, plus de vieille,

Plus de pauvre idiot, vaguement singe,

Et l’on dirait que la ville sommeille.

Plus d’idiot, de cloches ni de vieille...

Seul, maintenant, le blanc glacé du linge.

Bibliographical info

Le Cardonnel, Louis, « Ville morte », Poèmes, Paris, Mercure de France, 1904.

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