Tel que je suis, dans la livide lumière,
Tel que j’écris, mouillé d’un jour lunaire,
l’ombre longue de ma main glissant sur le feuillet,
les yeux voyageurs et le corps humilié,
Je me vois soudain à quelque distance
et suis épouvanté par mon aspect étrange.
Je me vois venir, tout simplement, sans présenter aucune particulière étrangeté...
Les arbres, près du ruisseau, penchent de façon naturelle ;
les deux ornières sont bien parallèles ;
Le ciel a ses quelques nuages quotidiens...
Mais je tremble à me voir venir comme je viens.
Ha ! d’autant j’avance, d’autant je recule :
je ne veux pas approcher de moi.
La zone qui me cerne, brûle...
je traverse à reculons le pont de bois,
et je me vois le traverser dans la rivière
Avec l’habit marin dont j’étais si fier !...
L’autre est là, je savais qu’il me devait rejoindre,
et ses mains tâtonnantes, je les sens m’atteindre.
Je sens ses yeux couler, bouillants, sur les miens,
et rien n’est insolite, alentour, rien !
Le chêne dépassé surveille et se ressemble...
Il n’y a rien d’étrange à ce que je sois ensemble.
L’autre me touche, se penche et je l’entends parler :
— Je ne sais pas si c’est toi qui m’as appelé...
reconnais-tu mes yeux et mon costume marin ?...
Je suis l’enfant de ton père et de ta mère...
mais non...mais non...il n’y a rien
entre nous, qu’un mince rayon d’air...
— Je ne suis né, moi, d’un père ni d’une mère.
Je suis né du vice qui me consume.
Je suis né du vice et de sa rongeante amertume.
Je ne suis même pas ton frère.
Car j’ai jailli du vice avec des cris de fièvre...
Tel que je suis dans la mourante lumière.
Pierre-Louis Matthey, « Connaissance », dans Claude Beausoleil – La poésie suisse-romande, Éditions de l’aire, Lausanne, 1993.
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