Ce ne sont pas mains de géants
Ce ne sont pas mains de génies
Qui ont forgé nos chaînes ni le crime
Ce sont des mains habituées à elles-mêmes
Vides d’amour vides du monde
Le commun des mortels ne les a pas serrées
Elles sont devenues aveugles étrangères
À tout ce qui n’est pas bêtement une proie
Leur plaisir s’assimile au feu nu du désert
Leurs dix doigts multiplient des zéros dans des comptes
Qui ne mènent à rien qu’au fin fond des faillites
Et leur habileté les comble de néant
Ces mains sont à la poupe au lieu d’être à la proue
Au crépuscule au lieu d’être à l’aube éclatante
Et divisant l’élan annulent tout espoir
Ce ne sont que des mains condamnées de tout temps
Par la foule joyeuse qui descend du jour
Où chacun pourrait être juste à tout jamais
Et rire de savoir qu’il n’est pas seul sur terre
À vouloir se conduire en vertu de ses frères
Pour un bonheur unique où rire est une loi
Il faut entre nos mains qui sont les plus nombreuses
Broyer la mort idiote abolir les mystères
Construire la raison de naître et vivre heureux.
Paul Éluard, Poésie ininterrompue, © Éditions GALLIMARD.
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