Mention de source
© Lawrence Fafard

Biographie

Karianne Trudeau Beaunoyer vit à Montréal. Elle est l’autrice de Je suis l’ennemie, paru au Quartanier en 2020. Titulaire d’un diplôme de maîtrise en recherche et création littéraire, elle s’intéresse actuellement à l’autoportrait en littérature dans le cadre d’un doctorat à l’Université de Montréal. Plutôt que d’être tiraillée entre la recherche et la création, elle tâche de mener les deux dans un même mouvement, un même geste, de lecture-écriture, influencé également par des pratiques photographiques comme celles de Cindy Sherman, d’Ana Mendieta, de Francesca Woodman ou de Suzy Lake. Elle a été membre du comité de rédaction de la revue Mœbius de 2017 à 2019.

Entrevue

Lisiez-vous de la poésie quand vous étiez à l'école ? Y a-t-il un poème en particulier dont vous vous souvenez ?

La chose que je suis en train de lire me paraît toujours comme la chose la plus digne de me rester en tête, puis j’en lis une autre qui me fait une autre sorte d’impression, qui remue de nouvelles zones sensibles et j’oublie presque la précédente, il ne m’en reste plus rien sinon la trace de ce que j’ai ressenti. Très tôt je dévorais tous les livres qui me tombaient sous la main, mais je ne me souviens de rien ou de très peu de choses avant l’époque du cégep. J’ai une mauvaise mémoire des faits lorsqu’ils n’ont pas de dimension affective ou émotionnelle, et avant d’être en contact avec des textes qui m’ont vraiment parlé plus tard dans mes études, mon régime de lecture était fondé uniquement sur le manque que je croyais avoir à gagner. Peu m’importait ce que je lisais tant que je pouvais lire. J’aurais aimé qu’un organisme comme les Voix de la poésie existe pour me guider, me fournir des pistes, ouvrir des chemins.

Quand avez-vous commencé à écrire de la poésie ? Et quand avez-vous commencé à vous considérer poète ?

Je ne sais pas si je me considère poète ni non plus si j’écris de la poésie. J’ai l’impression que la définition de la poésie me coule entre les doigts. J’admire beaucoup les poètes qui pratiquent l’écriture en vers, qui ont ce rythme-là dans leur voix, qui savent couper, respirer au bon moment (et je ne suis pas du tout en train de dire que le poème est nécessairement versifié ! mais il va sans dire que souvent, il l’est). J’ai l’impression, moi, de ne pas savoir respirer, ou pas encore, comme si les blocs de prose me convenaient mieux dans ce moment-ci de mon écriture, parce qu’il me permettent ce que je ne me permets pas toujours, ce que je retiens dans ma parole parlée, de débouler. Peut-être que j’ai commencé à me considérer poète quand je me suis autorisé ça, me laisser aller, m’abandonner à ce qui voulait se dire, moins me surveiller.

Comment voyez-vous le « travail » des poètes ?

J’aime beaucoup, parmi les définitions du mot « travail », celle qui le décrit comme une « action complexe dont le résultat est progressif », comme c’est le cas du travail de la décomposition par les bactéries, du travail de la digestion. Plus encore que l’action de façonner une matière ou de manier un instrument, il me semble que le travail des poètes est, pour moi en tout cas, une manière de se laisser être travaillé (par le monde, par les livres, par les gens, par les images, les expériences lues, vues, vécues).

Si vous avez un poème dans notre anthologie, qu’est-ce qui vous a inspiré lors de son écriture ?

« Des masques aux yeux prolifiques » ouvre une sous-section du livre où il est question à la fois du désir et de la crainte de disparaître. Toute la partie est traversée par un mouvement de transformation du corps de la narratrice, qui lui paraît étranger, par sa propre volonté, mais aussi par les éléments et les personnes qui l’entourent, et, réciproquement, elle espère peut-être réussir à métamorphoser en même temps cet environnement. C’est un peu cette idée qui m’a conduite à l’image de la boîte à souvenirs dont la matière dans ses mains change de texture, de forme, devient molle, malléable, autre chose, comme pour forger un avenir différent du bagage de son passé qu’elle traînait avec elle jusque-là, mais sans non plus l’abandonner.

Si vous deviez choisir un poème à mémoriser dans notre anthologie, lequel serait-ce ?

« Anneaux de cendre » d’Alejandra Pizarnik, parce que j’y trouve une force tranquille pour prendre la parole justement, pour faire chanter les voix.

Publications

Titre
Je suis l'ennemie
Maison d'édition
Quartanier
Date
2020
Type de publication
Recueil
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