Commentaire de texte: « Le Chêne et le Roseau » de Jean de La Fontaine

Introduction

 

1    Le Chêne un jour dit au Roseau :
2    Vous avez bien sujet d’accuser la Nature ;
3    Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau.
4             Le moindre vent qui d’aventure
5             Fait rider la face de l’eau
6            Vous oblige à baisser la tête :
7   Cependant que mon front, au Caucase pareil,
8   Non content d’arrêter les rayons du Soleil,
9            Brave l’effort de la tempête.
10  Tout vous est Aquilon[1], tout me semble Zéphyr[2].
11  Encore si vous naissiez à l’abri du feuillage
12            Dont je couvre le voisinage,
13            Vous n’auriez pas tant à souffrir :
14            Je vous défendrais de l’orage ;
15            Mais vous naissez le plus souvent
16  Sur les humides bords des Royaumes du vent.
17  La nature envers vous me semble bien injuste.
18   - Votre compassion, lui répondit l’Arbuste,
19  Part d’un bon naturel; mais quittez ce souci.
20       Les vents me sont moins qu’à vous redoutables.
21  Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici
22            Contre leurs coups épouvantables
23            Résisté sans courber le dos ;
24  Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots
25  Du bout de l’horizon accourt avec furie
26            Le plus terrible des enfants
27  Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs.
28            L’Arbre tient bon; le Roseau plie.
29            Le vent redouble ses efforts,
30            Et fait si bien qu’il déracine
31  Celui de qui la tête au Ciel était voisine,
32     Et dont les pieds touchaient à l’Empire des Morts.

Présentation de l’auteur

Jean de La Fontaine (1621-1695) est une figure indissociable du classicisme (période correspondant au xviie siècle) et de la littérature française en général. L’époque classique est marquée notamment par le mécénat de Louis XIV, dit le « Roi-Soleil », qui finance et protège plusieurs écrivains notoires, dont Molière, Jean Racine et Nicolas Boileau. Ce mécénat favorise le développement de la littérature, ou du moins en assure la valorisation, mais il oblige en revanche les écrivains protégés à demeurer prudents. Les auteurs invités à la cour de Louis XIV, en effet, doivent se soumettre à plusieurs conventions parfois contraignantes. Surtout, ils doivent éviter de critiquer le pouvoir royal... Contrairement à ses contemporains, Jean de La Fontaine a écrit une partie importante de son œuvre en marge de la cour, étant protégé non pas par Louis XIV, mais par Nicolas Fouquet. Bien qu’il ait fréquenté des salons littéraires associés au pouvoir, La Fontaine a ainsi conservé une indépendance d’esprit qui lui a permis de critiquer, avec subtilité et intelligence, l’absolutisme du « Roi-Soleil ».

À l’instar de plusieurs des écrivains classiques, La Fontaine voue une admiration sans borne aux auteurs grecs. Lors de la querelle entre les « Anciens » et les « Modernes », un débat intellectuel qui marquera l’époque classique, La Fontaine se range du côté des « Anciens », ceux qui admirent les auteurs grecs et latins. C’est d’ailleurs un auteur grec, Ésope, qui inspire l’écriture de plusieurs de ses fables, un genre littéraire qui appartient au domaine de la poésie, mais qu’on reconnaît surtout par son style narratif : les fables, contrairement aux ballades ou aux sonnets, racontent souvent une petite histoire. Les fables de La Fontaine, par ailleurs, sont caractérisées par la présence d’animaux et de végétaux, qui s’expriment par la parole. Enfin, il importe de mentionner que La Fontaine appartient à une branche du classicisme que l’on nomme les « Moralistes ». La plupart de ses fables contiennent en ce sens une morale, ou du moins un enseignement ou une leçon.

Présentation du poème « Le Chêne et le Roseau »

Cette fable qui compte trente-deux vers met en scène deux « personnages » : le chêne, symbole de puissance et d’autorité ; et le roseau, associé au contraire à la faiblesse ou à la vulnérabilité. Comme nous le verrons dans le commentaire de texte, il s’agit d’une fable comportant une dimension politique, dans la mesure où le chêne représente notamment le pouvoir royal. Conformément à l’esthétique classique, cette fable contient des allusions à la mythologie grecque (« l’Aquilon » et le « Zéphyr », expliqués en note en bas de page) et est d’une grande clarté syntaxique. D’un point de vue formel, La Fontaine fait alterner les octosyllabes (huit syllabes) et les alexandrins (douze syllabes). Nous remarquons par ailleurs la présence d’un dialogue entre le chêne et le roseau, dialogue qui se poursuit jusqu’au vingt-quatrième vers, où s’effectue un passage vers la narration. Dans le cadre d’une récitation, le lecteur devra incarner les différents personnages sans sombrer dans la « théâtralisation ».

 

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