Le sentier qui conduisait au lac
dans l’odeur de résine chauffée par le soleil
et la marche élastique sur les aiguilles de pin
(Le Canada ressemble au Canada
J’allai pêcher à la mouche artificielle
des truites vives dans le canoë qui sentait le vernis)
Se trouver nez à nez avec un orignal
drôle d’animal énormément grand
(comme si sur un corps de cheval
on avait greffé une tête de cerf
et vissé par-dessus les bois d’un renne)
Il me regarde avec une précaution étonnée
Absolument sans crainte Mais sans mode d’emploi
Il n’y a nulle part de règle de conduite
pour un orignal canadien rencontrant Claude Roy
Je ne bouge strictement pas j’essaie d’émettre
des pensées calmes et polies L’orignal
est extrêmement bienveillant mais perplexe
Je le nomme en silence : « Mon ami » ou « Monsieur l’Orignal »
Il est sensible à ces attentions Il me regarde
très longtemps (je dirais deux ou trois minutes)
puis se retourne et s’éloigne au pas
Je le remercie sans mots de sa confiance
S’il n’est pas mort il doit être très vieux maintenant
Se souvient-il quelquefois vaguement
de sa conversation avec un homme blond
l’orignal qui me dévisageait près du lac en été ?
Paris
jeudi 14 avril 1983
Claude Roy, « Conversation avec un orignal », À la lisière du temps, Gallimard, 1990 [1984].
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